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La topologie

L'univers tel que nous l'observons s'étend sur des dizaines de milliards d'années lumière. Au-delà, nous ne pouvons savoir ce qu'il y a car il n'est pas possible d'observer plus loin : du fait de l'âge fini de l'univers, il existe une distance au-delà de laquelle aucune lumière n'a eu le temps de nous parvenir. Dans ce volume accessible aux observations, force est de constater que l'on ne voit rien qui ressemble à une éventuelle limite, un "bord" de l'univers.

 

La topologie, science des formes

Pour autant, ces observations ne nous garantissent pas que l'univers soit aussi grand que cela. A l'instar d'une salle qui serait tapissée du sol au plafond de miroirs parfaitement réfléchissants donnant l'impression qu'elle s'étend à l'infini, l'univers pourrait être moins grand que ce qu'il semble, et qui plus est sans pour autant comporter de bords.

Le célèbre jeu de Pac Man offre une illustration intuitive de cela : en arrivant à l'extrémité de l'écran, chaque protagoniste se retrouve à l'autre extrémité. On peut modéliser cette situation simplement à l'aide d'une feuille de papier. Considérée à plat, la feuille de papier possède quatre côtés, comme l'écran dans lequel se déroule le jeu. Mais on peut enrouler la feuille de sorte que le côté gauche touche le côté opposé. Dans ce cas, la figure obtenue, un cylindre, ne possède plus que deux côtés. C'est la configuration du jeu de Pac Man, qui ne possède que deux bords, en haut et en bas.

Mais partant de là, si l'on suppose la feuille suffisamment souple, rien n'empêche de replier le cylindre pour joindre les deux dernier côtés, en fabriquant une sorte de chambre à air, ce que les mathématiciens appellent un tore. Un tel objet est d'extension finie, sans pour autant posséder le moindre bord. On dit qu'il possède une topologie multiconnexe.

Ce tore peut ainsi être représenté de deux façons équivalentes : en proposant une "vue extérieure" de l'objet comme une surface dans l'espace, ou de façon plus intrinsèque, en gardant la feuille à plat et en indiquant comment les côtés sont appariés deux à deux. Dans ce cas, en arrivant au bord de la feuille, on peut soit considérer que l'on réapparaît sur le côté opposé, ou bien qu'il existe une autre copie de la feuille sur laquelle on pénètre alors. Dans ce dernier cas, on peut en pratique paver un plan en y recopiant une infinité de fois la feuille initiale et son contenu, donnant l'illusion que chaque objet y est présent une infinité de fois.

 

La topologie cosmique

Cette façon de paver le plan (ou l'espace) n'est pas unique. Plusieurs autres façons existent, que ce soit en changeant les dimensions de la feuille de départ, ou en changeant la façon dont les copies successives se font. On obtient ainsi d'autres configurations, ou, selon la terminologie mathématique, d'autres topologies, aux noms guère plus évocateurs de "bouteille de Klein" et autre "espace projectif". Et bien sûr, cet exercice n'est pas limité au plan à deux dimensions mais peut être fait dans un espace à trois dimensions, où les possibilités sont encore plus nombreuses et souvent plus déroutantes.

 

 
   

Légende : si notre Univers possède la structure d'un tore, il pourrait être perçu comme une région cubique se dupliquant à l'infini 1 . Bien sûr, en pratique, on ne verrait pas les arêtes délimitant cette région contrairement à l'illustration ci-dessus. Le tore est cependant loin d'être la seule topologie possible de l'espace. Ces deux nouvelles images montrent d'autres exemples de configurations (respectivement l'espace dodécaédrique de Poincaré 2 et l'espace de Weeks 3 ), où l'espace occupe un volume fini qui se duplique à l'infini.

Crédits : images générées par Alain Riazuelo à l'aide du logiciel "Curved Spaces" de Jeff Weeks.

 

 

Aujourd'hui, personne ne sait quelle est la structure de l'espace à très grande échelle. Le fait qu'il soit infini ou au contraire que l'on ait simplement l'illusion qu'il le soit est une question ouverte, car dans un tore, une trajectoire rectiligne (par exemple celle d'un rayon lumineux) peut se propager indéfiniment sans rencontrer de bord. Un observateur situé dans un tel objet aurait donc l'illusion d'être dans un espace d'extension infinie, puisqu'il n'en verrait pas le bord. En fait, il est impossible par une expérience locale de savoir si l'on vit dans un tore ou dans un espace ordinaire. Pour distinguer entre ces deux possibilités, il faut regarder les propriétés à plus grande échelle de l'espace.

 

Comment détecter la topologie ?

Vu "de l'intérieur", un tore ne possède donc pas de bord. Les rayons lumineux s'y propagent sans rencontrer d'obstacles, aussi une source lumineuse pourra être vue dans plusieurs directions, en fonction des différents chemins que sa lumière aura pu emprunter jusqu'à nous, de la même façon que l'on peut voir plusieurs images d'une source lumineuse si l'on dispose des miroirs à proximité de celle-ci.

 

 
 
     
Légende : dans un univers fictif ne contenant qu'une unique galaxie, celle-ci serait vue dans de multiples directions, à de multiples distances, et sous de multiples angles puisque même en se propageant en ligne droite, la lumière émise pourrait emprunter une multitude de trajectoires pour parvenir jusqu'à nous.   Légende : on a représenté ici les arêtes du cube symbolisant la topologie, qui montre que la régularité des images de la galaxie est sous-tendue par celle du réseau cubique.
     
  
 
     
Légende : dans une topologie plus complexe, la régularité avec laquelle apparaissent les images multiples d'une galaxie, même dans le cas simple où il n'y aurait qu'une seule galaxie dans tout l'univers, est loin d'être évidence, comme illustré dans cette topologie appelé espace de Seyfert-Webber, montré avec (à gauche) et sans (à droite) le pavage de l'espace.

Crédits : images générées par Alain Riazuelo à l'aide du logiciel "Curved Spaces" de Jeff Weeks.

 

 

La clé pour repérer la topologie réside donc dans l'identification des images multiples d'une même source lumineuse, par exemple une galaxie. Mais si la topologie se déclare à des échelles très importantes (plusieurs milliards d'années lumière), alors la technique des images multiples souffre rapidement d'une difficulté majeure : les différents chemins empruntés par la lumière étant de longueurs différentes, on verra certes le même objet, mais à des époques différentes.

Pour contourner ce problème, on va regarder non pas les images hypothétiques de telle ou telle galaxie, mais s'intéresser au rayonnement fossile. Celui-ci baigne tout l'univers, mais, du fait que la lumière se propage en ligne droite et toujours à la même vitesse, la partie qu'on en observe provient d'une région sphérique centrée sur nous. On appelle cette sphère la surface de dernière diffusion. Si nous vivons dans un univers dont la topologie est multiconnexe, alors tout se passe comme s'il y avait une infinité de copies de cette sphère parsemant régulièrement l'univers. Si la distance entre ces sphères est inférieure à leur diamètre, alors en regardant le rayonnement fossile, on devrait voir la même région émettrice dans plusieurs directions différentes, et ce sont en fait des paires de cercles dans le ciel dont on devrait trouver trace dans le rayonnement fossile et dont les fluctuations de température devraient être reconnaissables.

 

 

Légende : si l'univers possède une topologie multiconnexe dont la maille de base est plus petite que le diamètre de la sphère, alors cette sphère d'émission intersecte ses copies. On s'attend ainsi à trouver des paires de cercles dans le ciel présentant les mêmes motifs de température.

Crédits : Alain Riazuelo

 

 

En pratique, cette recherche de la topologie de l'univers via le rayonnement fossile est rendue difficile par le fait que divers effets parasitent la similarité des motifs sur les cercles. Cependant, avec une mission comme Planck, il existe des espoirs très réalistes de mettre en évidence la topologie de l'univers... si toutefois la Nature a eu l'idée de le créer ainsi.

 

 

Légende : dans une situation plus réaliste, les motifs de température sur ces paires de cercles ne sont parfaitement pas identiques car la lumière du rayonnement fossile peut par exemple avoir subi des altérations différentes en empruntant des trajets différents.

Crédits : Alain Riazuelo

 

 

Pour en savoir plus

  • Livre : "L'univers chiffoné" de J.-P. Luminet
  • Livre : (en anglais) "The shape of space" de J. Weeks
  • Le site de J. Weeks, avec divers jeux amusants pour se familiariser avec les topologie du plan
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