Lorsque l’on regarde une image à travers une lentille, elle nous apparaît déformée. En effet, les rayons lumineux, lorsqu’ils traversent la lentille, sont déviés de leur trajectoire initiale : la lentille a la propriété de dévier la lumière.
On appelle lentille gravitationnelle toute concentration de matière qui provoque une déviation de la lumière. L’effet de lentille gravitationnelle est donc la déviation de la lumière par une masse. La masse en question peut, selon les cas, être une planète, une galaxie ou un amas de galaxies.
Sous certaines conditions, la déflexion de la lumière va provoquer une concentration de celle-ci et donc une amplification de l'intensité lumineuse.
Légende :
À gauche : effet de lentille optique (c’est le principe de la lunette astronomique).
À droite : effet de lentille gravitationnelle.
Dans les deux cas, les rayons lumineux sont déviés, la source semble plus grande qu’elle ne l’est réellement.
Cet effet de lentille gravitationnelle est une prédiction de la relativité générale. C’est, historiquement la première prédiction de la relativité générale qui ait été vérifiée, lors d’une éclipse de Soleil en 1919. Cet effet est aujourd’hui couramment observé en astrophysique. Selon la lentille (sa masse, sa position sur l’axe observateur-source et sa distance à cet axe), on peut observer différents effets : anneau, images multiples de la source ou juste de minuscules déformations de l’image de la source ; cet effet de lentille gravitationnelle peut aussi servir de télescope naturel pour chercher des exoplanètes par exemple.
La lumière du rayonnement fossile, sur tout son parcours depuis son émission jusqu’à nous, rencontre un grand nombre d’objets massifs qui créent de très petites modifications dans sa direction de propagation - l’effet est bien trop faible pour produire des images multiples, mais la combinaison de toutes ces minuscules déflexions produit une distorsion des cartes du rayonnement fossile : tous les points qui forment l’image de l’Univers près de 400 000 ans après le Big-Bang sont en fait légèrement redistribués par rapport à leur position originelle, comme si le rayonnement fossile était vu au travers d'un verre (très légèrement) déformant.
Les calculs indiquent que l’écart angulaire moyen entre l’endroit où est vu un point de la carte et sa direction initiale est de 2 minutes d’arc environ, soit 1/15ème du diamètre apparent de la Lune. Cet écart est dicté par la distribution des galaxies et amas de galaxies entre nous et les grumeaux du rayonnement fossile.
Légende : A cause de l’ensemble des grandes structures présentes sur le trajet du rayonnement fossile, le satellite Planck « voit » tous les points de l’image décalés d’un petit angle alpha sur le ciel. Sur ce schéma, la déviation est énormément exagérée pour devenir visible.
Crédits : Millenium simulation et Planck
Légende : Carte du ciel de 10x10 degrés (à gauche) et un zoom sur une zone de 2,5x2,5 degrés (à droite). L’alternance des images avec et sans effet de lentille gravitationnelle permet de percevoir les très légers déplacements des grumeaux.
Crédits : Typhaine Dechelette
La mesure de l’effet de lentille gravitationnelle est ainsi la mesure du déplacement moyen de chaque point de la carte, chose rendue difficile puisqu’on ne connaît pas la position initiale des points ! Mais il reste possible de quantifier le type de distorsion produit par ces effets de lentille gravitationnelle en fonction de la quantité de matière rencontrée par le rayonnement fossile sur son parcours jusqu’à nous.
La mesure est assez complexe mais tous les ingrédients sont là : une source à distance relativement bien connue (le rayonnement fossile), a priori la présence de masses “bien situées” le long de la ligne de visée (les amas de galaxies) et un détecteur capable de cartographier le ciel avec une résolution suffisante (Planck-HFI).
Le tout permet de dresser une carte des déflexions dues à l’effet de lentille gravitationnelle qui ressemblerait à cela :
Légende : Simulation d’une carte des déplacements angulaires dus à l’effet de lentille dans les conditions de Planck. Les déplacements les plus fins (en bleu) sont de 0.005 minute d’arc, les plus “importants” (en rouge) de 7,66 minutes d’arc.
Crédits : Typhaine Dechelette
Sur l’image du rayonnement fossile modifié par l’effet de lentille gravitationnelle (page « averti »), on devine que le lieu et l’amplitude de la déformation du signal donnent des indications sur la position dans le champ de vue et sur l’importance de la masse responsable. Mais on n’a pas le moyen de connaitre la position de la lentille le long de la ligne de visée : l’amas de galaxies responsable de la déformation est-il proche de nous, lointain ou très lointain ? Là encore la réponse est statistique : l’effet est maximal lorsque la lentille, donc l’amas de galaxies, se situe au milieu de la trajectoire du photon. Ce qui est plutôt une chance pour nous car cela correspond à un décalage vers le rouge de 3 ou 4 environ - ce qui est proche du pic de formation stellaire dans l’univers, un moment où les grandes structures sont en place et bien détectables (pour l’essentiel).
L’effet de lentille gravitationnelle engendre des anisotropies dites « secondaires » puisqu’elles sont créées par un effet astrophysique (l’effet gravitationnel des grandes structures sur le rayonnement). Toutefois, on veut pouvoir étudier en premier lieu les anisotropies « primaires » ou « primordiales » et il faudrait donc pouvoir corriger de l’effet de lentille les cartes du rayonnement fossile.
Pour extraire le maximum d'information de ces cartes et mesurer au mieux l’ensemble des paramètres cosmologiques, il faut donc idéalement déterminer simultanément l'apparence de la carte non déformée du rayonnement fossile et les déformations qu'elle subit par effet de lentille. On peut alors extraire de la carte observée deux informations distinctes :
Ainsi, d’une part on ne dégrade pas l’estimation de certains paramètres, liés au modèle d’inflation par exemple (information uniquement présente dans la version non déformée de la carte), mais d’autre part la déformation que l'on détermine permet d'obtenir des contraintes supplémentaires sur la mesure de la masse des neutrinos par exemple. En effet ce paramètre influe seulement un peu sur le rayonnement fossile primaire mais affecte significativement l’évolution des structures, et donc la distribution de masse.
Légende : simulation du spectre de puissance angulaire avec et sans lentille. Un des effets les plus visibles des lentilles gravitationnelles est de lisser le spectre à petite échelle.
Crédits : Typhaine Dechelette
Un autre effet des lentilles gravitationnelles intervient dans la polarisation du rayonnement fossile. Celle-ci peut être décomposée en deux types appelés pour des raisons techniques modes E et modes B. L'effet de lentille transforme une partie des modes E, assez abondants, en mode B, beaucoup plus rares, ce qui est une gêne car la mesure des modes B est l’un des rares moyens connus de mettre en évidence les ondes gravitationnelles produites par le Big-Bang. Pour cela, il sera donc indispensable de corriger très précisément de l’effet de lentille pour s'assurer de la présence ou non de modes B dans la carte primordiale (non déformée) du rayonnement fossile.
Notre compréhension de l’histoire du cosmos est jalonnée de quelques rares décou...
La mission Planck de l’ESA dévoilait en 2013 une nouvelle image du cosmos. Le co...
On pouvait croire l’aventure Planck achevée. Mais non ! 2018 est une nouvelle gr...
Du 14 octobre au 30 novembre nous avons eu la chance et le privilège d'animer l'...
L'Univers primordial cartographié par le satellite Planck est visible dans l'exp...
Les collaborations Herschel et Planck ont reçu la médaille « Space Systems Award...