Planck a réalisé la première carte de l'émission polarisée du ciel dans l’infrarouge. Par rapport aux précédentes observations - faites depuis le sol ou, pour échapper à l’émission atmosphérique, d'un avion et de ballons stratosphériques - Planck a permis un immense bond en avant. Ces données ont ouvert aux astrophysiciens de nouvelles perspectives sur la poussière et les champs magnétiques qui tissent l’espace interstellaire. Elles ont aussi fourni aux cosmologistes la première caractérisation statistique de la principale émission d’avant-plan à la polarisation du rayonnement fossile.
Légende : les cartes d'intensité polarisée (en haut), de la fraction de polarisation (en bas à gauche) et de l'angle de polarisation (en bas à droite) sont ici réunies. Ces cartes contiennent une multitude d’informations sur notre Galaxie que nous sommes encore loin d’avoir entièrement exploitées.
Crédit : ESA – collaboration Planck
L’espace interstellaire de notre Galaxie contient des grains de poussière, agrégats d'atomes dont la taille varie entre environ 1 et 300 nm (1 millionième de millimètre). Ces grains sont alignés avec le champ magnétique, leur plus grande dimension étant préférentiellement perpendiculaire au champ. Chauffée par le rayonnement des étoiles, la poussière rayonne aux longueurs d’onde d’observation de Planck et la polarisation de ce rayonnement thermique résulte de l’alignement des grains. Le degré d’alignement dépend de la taille et de la nature des grains de poussière. Les grains plus petits que 100 nm ne sont pas alignés, ou très peu, mais c’est l’émission des grains les plus gros qui domine aux fréquences observées par Planck. Ces données nous ont appris que l’alignement des grains est efficace et homogène sur le ciel. De ce fait, la polarisation de l’émission de la poussière peut être utilisée pour tracer la structure du champ magnétique sans se préoccuper de variations de l’alignement des grains.
L’observation de la polarisation à plusieurs longueurs d’onde apporte de nouvelles contraintes sur la nature des gros grains de poussière interstellaire. Les résultats de Planck ont été combinés à ceux de l’expérience ballon BLASTPol dans l’infrarouge lointain. Il apparaît que la distribution spectrale de l’émission est la même en intensité totale et en intensité polarisée, ce qui constitue un résultat inattendu mettant en défaut les modèles existants. Nous nous attendions en effet à observer deux types de grains, les grains carbonés et les silicates, avec des propriétés en polarisation distinctes, mais les données nous indiquent qu'on observe un seul type de grains, le même en intensité totale et en polarisation. Ainsi la collaboration Planck pense que l'on observe principalement l'émission des silicates.
Les images Planck de la polarisation Galactique nous donnent accès à la structure du champ magnétique de notre Galaxie, un acteur encore peu compris mais que l’on sait être une clé essentielle de l’évolution dynamique de la matière interstellaire, notamment de sa structuration en régions denses, les nuages moléculaires, où se forment les étoiles.
L'émission de la poussière trace la distribution de la matière et la polarisation de cette émission trace l’orientation du champ magnétique. Les cartes Planck permettent donc d’étudier le couplage entre matière et champs magnétiques. Dans les régions ténues de l’espace interstellaire, les structures filamenteuses de la matière interstellaire sont en moyenne alignées avec le champ magnétique. Cet alignement rend compte de l’asymétrie, découverte par Planck, de l’émission polarisée de la poussière entre modes dits E et B. En effet, un filament de matière aligné avec le champ magnétique produit exclusivement de la polarisation de type E.
L'orientation relative entre matière et champ magnétique change progressivement, selon le rapport de force entre énergie magnétique et énergie gravitationnelle. L'alignement observé dans les régions ténues évolue vers une configuration perpendiculaire là où la matière est la plus concentrée, c'est-à-dire au cœur des nuages moléculaires. Ce changement d'orientation est considéré comme la signature de la formation de structures par attraction gravitationnelle en présence d'un champ magnétique dynamiquement important.
Légende : cartes Planck dans deux régions du ciel. Chaque carte est une superposition de l’émission de la poussière, en couleurs, avec des lignes qui représentent la direction du champ magnétique, perpendiculaire à celle de la polarisation mesurée par Planck. La carte de gauche est centrée sur un long filament aligné avec le champ magnétique. La structure brillante en haut de l'image est le Grand Nuage de Magellan. La carte de droite représente une région de formation d’étoiles, le nuage moléculaire du Taureau, où la densité de la matière est beaucoup plus grande. Dans cette région du milieu interstellaire, les filaments de matière sont perpendiculaires au champ magnétique.
Crédit : ESA – collaboration Planck, Marc-Antoine Miville-Dechênes
Un des points d’orgue de la mission Planck a été la confrontation entre ses données et les mesures de l’expérience BICEP-Keck au Pôle Sud. Seules les données Planck sur l’émission polarisée de la poussière pouvaient confirmer ou infirmer la détection du signal cosmologique attendu des ondes gravitationnelles primordiales. Après plusieurs mois d’âpres discussions à distance, les deux équipes réunies ont conclu conjointement que le signal n'était pas d'origine cosmologique mais venait de la polarisation Galactique.
La quête de ce signal cosmologique se poursuit. L’équipe BICEP-Keck a depuis continué à observer avec un instrument encore plus performant et le premier résultat a été confirmé sur de nouvelles données. D’autres équipes et d’autres expériences sont également dans la course. La sensibilité des mesures va être grandement améliorée mais les données Planck sur la polarisation de la poussière vont rester une référence pour encore au moins une petite décennie, jusqu'au lancement du prochain satellite d’observation du rayonnement fossile.
Légende : superposition des deux principales composantes de l’émission polarisée du ciel aux fréquences micro-ondes. Le satellite Planck au centre de l’image observe au premier plan l’émission de la poussière dans notre Galaxie et en arrière plan le rayonnement fossile. Sur le ciel et dans les données les deux signaux sont mélangés et c’est un défi de les séparer avec une précision suffisante.
Crédit : ESA – collaboration Planck, Canopée
Planck a suscité le développement d’une nouvelle interface entre astrophysique et cosmologie. L’étude de la structure du champ magnétique Galactique et celle des propriétés des poussières en polarisation croise un objectif phare de la cosmologie : la recherche des modes B de la polarisation du rayonnement fossile, associés à l’inflation. La détection de ce signal polarisé permettrait de contraindre les modèles d’inflation de l’univers primordial à une échelle d'énergie 1012 fois supérieure à celles accessibles via l’accélérateur Large Hadron Collider du CERN. Cet objectif ne sera pas atteint par les cosmologistes sans une collaboration avec l’astrophysique Galactique car le signal cosmologique est noyé dans celui, complexe, lié à l'émission de notre propre Galaxie. La précision statistique (une fraction de %) nécessaire pour extraire le signal cosmologique avec la sensibilité attendue des observations futures du rayonnement fossile est bien plus grande que celle accessible à partir d’une modélisation physique du milieu interstellaire. Le principal écueil est la caractérisation statistique des couplages entre la structure multi-échelles du milieu interstellaire et les variations des propriétés d’émission de la poussière interstellaire.
Planck a ouvert ici un nouvel axe de recherche. Les réponses à plusieurs des questions majeures sur notre univers dépendent de notre capacité à extraire l'information pertinente de données de plus en plus complexes où les signaux cosmologiques recherchés sont faibles comparés à l'émission d’avant-plan de la Galaxie. Hormis la recherche des modes B de la polarisation du rayonnement fossile, on peut notamment citer l’étude de l’époque de ré-ionisation de l’univers par les premières étoiles et galaxies, ainsi que la cartographie des grandes structures de l’univers par imagerie de la raie à 21 cm de l’atome d’hydrogène. L’émission polarisée de notre Galaxie brouille également les observations de champs magnétiques dans l’univers lointain et donc l'étude de l’émergence du magnétisme cosmique. C'est avec Planck que nous avons concrètement réalisé l'importance d'une séparation des composantes Galactique et cosmologique robuste pour accéder à l'information cosmologique.
Les statistiques des signaux galactiques étant hautement non-Gaussiennes, des méthodes mathématiques innovantes sont nécessaires pour modéliser et reproduire cette émission avec des niveaux de précision suffisants pour procéder à une séparation fiable des composantes du signal. Les observations nous ont ainsi amenés à développer une collaboration interdisciplinaire réunissant astrophysique, traitement statistique du signal en cosmologie et recherche mathématique fondamentale en science des données pour faire face à ce défi.
L’enjeu partagé entre cosmologie et astrophysique est la description statistique d’un système (le milieu interstellaire) présentant de forts couplages sur une grande gamme d’échelles physiques. Le verrou scientifique est l’obtention d’une modélisation statistique des observations en l'absence d’un modèle physique. Ce défi est une problématique générique de la modélisation des phénomènes non-linéaires, dont la physique du milieu interstellaire turbulent et magnétisé. Planck nous a ainsi conduit vers une approche interdisciplinaire où la connaissance des données expérimentales et de la physique sous-jacente est associée aux avancées en science des données vers un but scientifique commun.
Légende : à gauche, cartes des paramètres de Stokes Q et U normalisés, qui caractérisent la polarisation linéaire de l’émission de la poussière, calculées à partir d’une simulation magnéto-hydrodynamique (MHD) du milieu interstellaire. A droite, cartes représentant une réalisation aléatoire du modèle statistique déduit de l’analyse des simulations MHD.
Crédit : Bruno Régaldo-Saint Blancard - LPENS
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