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Principaux apports à la cosmologie

Ce que Planck nous a appris de l’univers primordial

Vignette : Ce que Planck nous a appris de l’univers primordial

Le modèle standard de la cosmologie, ou modèle de concordance, présuppose que les fluctuations de densité primordiales ont été produites par une phase d’inflation, et que parmi la pléthore de modèles d’inflation existants, c’est un modèle simple qui a été à l’œuvre. On peut tester ces hypothèses de plusieurs façons, en confrontant leurs prédictions avec les contraintes observationnelles issues de données du satellite Planck.

 

Prédiction Valeur attendue Mesure ou limite supérieure
L’espace est euclidien, c’est-à-dire que les lois usuelles de la géométrie y sont à l’œuvre ΩK ≃ 0 ΩK = 0.0007 ± 0.0019
L’amplitude moyenne des fluctuations est quasi indépendante de leur taille, avec une amplitude légèrement plus importante pour les grandes échelles ns ⪅ 1 ns = 0.967 ± 0.004
Ce comportement est du pareil au même sur un très large éventail d’échelles de distances dn/d ln k ≃ 0 dn/d ln k = −0.0042 ± 0.0067
Il y a peu d’ondes gravitationnelles primordiales r0.002 ≃ 0 r0.002 < 0.07
Les perturbations sont gaussiennes, c’est-à-dire que les régions particulièrement denses ou particulièrement peu denses sont rares 𝑓NL ≃ 0 𝑓NL = 2.5±5.7
Les fluctuations sont adiabatiques, c’est-à-dire que les régions initialement denses en matière ordinaire sont également denses en matière noire (et inversement) α−1 ≃ 0 α−1 = 0.00013 ± 0.00037
Il existe peu voire pas de cordes cosmiques 𝑓 ≃ 0 𝑓 < 0.01

 

L’accord avec les prédictions des modèles simples d’inflation est remarquable, un résultat qu’il était difficile d’anticiper, étant donné que rien ne laissait présager quelle devait être la complexité du modèle d’inflation à l’œuvre dans l’Univers primordial. Il n’est donc pas exagéré de dire que l’on commence vraiment à « voir » l’Univers environ 10-30 seconde après le Big-Bang

 

Comment fait-on ?

Le rayonnement fossile permet d’accéder à ce que sont devenues les fluctuations primordiales 380 000 ans après le Big Bang. Mais il s’avère que leur évolution antérieure est relativement simple, aussi on peut « détricoter » cette évolution (essentiellement dictée par les interactions entre matière et rayonnement et les effets de la gravitation), et ainsi retrouver les caractéristiques, c’est-à-dire les propriétés statistiques, qu’avaient ces fluctuations primordiales à l’issue de leur formation.

Les deux paramètres principaux décrivant ces fluctuations sont leur amplitude moyenne pour une taille fixée, AS, et la façon, caractérisée par une quantité appelée indice spectral et notée nS, dont cette amplitude varie (faiblement, comme rappelé dans le tableau ci-dessus) avec la taille des fluctuations.

On peut voir ci-dessous l’évolution de notre connaissance de ces deux quantités lors de quatre grandes étapes vers la cosmologie de précision : le satellite COBE, qui au début des années 1990 a été le premier à avoir mis en évidence l’existence de ces inhomogénéités primordiales, pre-WMAP, qui correspond à l’état des connaissance au début des années 2000, qui avait progressé grâce à plusieurs mesures du rayonnement fossile effectuées au sol ou dans des ballons stratosphériques (BOOMMERanG, MAXIMA, Archeops), puis les résultats définitifs du satellite WMAP, au début des années 2010 et enfin Planck. COBE a montré que, sur un intervalle relativement restreint, le spectre des fluctuations était à peu près celui attendu (pas de grosse variation de l’amplitude des fluctuations en fonction de leur taille), ce qui encourageait l’inflation comme source des fluctuations primordiales. La situation s’est un peu, puis nettement, améliorée jusqu’à WMAP jusqu’à obtenir un spectre très précis pour les échelles sondées par Planck, quelques millions à quelques milliards d’années-lumière.

 

 

Légende : Évolution de notre connaissance sur le spectre de puissance reconstruit des fluctuations primordiales en fonction de leur nombre d’onde k. L’amplitude des fluctuations AS correspond à la hauteur de la courbe, et l’indice spectral nS à sa pente, légèrement descendante puisque l’indice spectral est légèrement inférieur à 1. Pour passer du nombre d’onde aux longueurs d’onde, il suffit de multiplier l’inverse du nombre d’onde par 2 π. Un mégaparsec (Mpc) correspond à environ 3,26 millions d’années-lumière.

Crédit : ESA – collaboration Planck

 

 

Les calculs indiquent que les plus grandes échelles, autour de quelques 10-4 Mpc-1, ont peu, voire pas évolué depuis leur formation. Elles nous sont donc parvenues presque intactes. Mais notre connaissance de leurs propriétés est limitée par le fait que nous n’observons qu’une région finie de l’Univers, et donc un faible nombre de ces fluctuations d’aussi grande taille, ce qui nous empêche de sonder leurs propriétés avec précision (c’est ce que les scientifiques appellent la variance cosmique). Les échelles plus petites, en-dessous de quelques 10-3 Mpc-1, sont « détricotées » avec soin et leurs propriétés initiales sont bien reconstituées. Les toutes petites échelles sont inaccessibles à Planck car leur empreinte sur le rayonnement fossile a été gommée par leur évolution. Planck va cependant plus loin vers les petites échelles que WMAP grâce à sa meilleure résolution angulaire. Et il a d’avantage affiné la zone connue grâce à une meilleure sensibilité en température et en polarisation.

Les données de Planck n’excluent pas une irrégularité vers k = 10-3 Mpc-1 liée à une possible légère baisse de l’amplitude des fluctuations à cette échelle, un phénomène déjà remarqué avant Planck, dans le courant des années 2000. On constate que cette baisse n’est statistiquement pas très significative.

Deux autres paramètres permettent de mieux caractériser les fluctuations primordiales et donc de contraindre le mécanisme qui leur a donné naissance.

Les figures ci-dessous montrent l’évolution des contraintes sur le paramètre nS qui caractérise comment l’amplitude des fluctuation évolue avec leur taille, ainsi que les deux autres paramètres, r0,002 qui contraint l’existence et l’amplitude des ondes gravitationnelles primordiales, et 𝑓NL caractérise la nature statistique des fluctuations de densité (en l’occurrence le fait qu’elles soient ou non gaussiennes).

 

La plupart des modèles d’inflation prédit que l’indice spectral, nS, est presque égal à 1, mais souvent légèrement inférieur. Si dès WMAP3 (données de WMAP publiées en 2005) cette tendance était suggérée par les données, il a fallu attendre 2013 et les premières données de Planck pour que cela soit établi de façon statistiquement convaincante. L’hypothèse de l’inflation comme origine des fluctuations primordiales en est sortie grandement renforcée. L’ajout des données polarisées a encore substantiellement accentué cette tendance.

 

Le paramètre r0,002 donne le rapport d’amplitude des ondes gravitationnelles primordiales avec les fluctuations de densité à une certaine échelle. Tous les modèles d’inflation prédisent que cette quantité est inférieure, voire très inférieure à 1, la plupart des modèles la situant dans une fourchette allant de 0,001 à 0,2. Pour l’heure, aucune détection d’ondes gravitationnelles primordiales n’a eu lieu, et seules des limites supérieures sur r0,002 existent, mais elles sont déjà suffisantes pour commencer à faire le tri entre les différents modèles d’inflation.

 

 

Enfin, le paramètre 𝑓NL caractérise la présence de non-gaussianités locales dans les fluctuations primordiales. Le mécanisme d’inflation prédit que les fluctuations de densité produites (ainsi, éventuellement, que les ondes gravitationnelles primordiales) sont de type gaussien, à de très faibles corrections près (lors de la production puis lors de leur évolution ultérieure, les fluctuations peuvent être amenées à dévier très légèrement d’une statistique gaussienne, mais dans des proportions très faibles). Ce paramètre est ainsi particulièrement efficace pour éliminer les modèles autres que l’inflation, qui prédisent souvent des valeurs assez élevées alors que les modèles d’inflation « classiques » prédisent des valeurs indétectables aujourd’hui.

 

Crédit : ESA - collaboration Planck

 

 

Peut-on aller plus loin dans notre compréhension de l’Univers primordial ?

Les contraintes sur les différents paramètres décrivant les fluctuations primordiales sont compatibles avec les prédictions génériques de l’inflation, mais le terme d’inflation regroupe en réalité quantité de scénarios certes basés sur le même principe général, mais chacun avec des particularités et donc des prédictions spécifiques sur les paramètres mentionnés précédemment. On peut donc désormais peu à peu débroussailler ce riche paysage de modèles, un exercice qui se fait principalement en examinant où se situent les différents modèles d’inflation dans le plan (nS, r0,002) :

 

 

Légende : Limites du rapport r à k = 0,002 Mpc-1 en fonction de nS (définitions données dans le texte ci-dessus) dans le cadre du modèle de concordance. Les données indiquent des niveaux de confiance de 95 % (c’est-à-dire la probabilité que les quantités r et nS soient effectivement dans les contours indiqués). Les contraintes sont indiquées en fonction des seules données de Planck, en incluant les données de 2014 de deux expériences au sol (BICEP2/Keck, zone rouge), ainsi qu’en rajoutant des informations (appelées pour des raisons techniques BAO, pour Baryon Acoustic Oscillations), issues des catalogues de galaxies (zone bleue). Le lieu des prédictions de divers modèles d’inflation sont indiqués pour plusieurs d’entre eux (aux noms assez barbares). Un modèle d’inflation donné ne fait pas de prédictions univoques car d’autres paramètres interviennent comme la durée de la phase d’inflation (indiquée ici par la quantité noté N*) ou l’époque à laquelle elle s’est terminée.

Crédit : ESA - collaboration Planck

 

 

On constate en comparant les ellipses de couleur que Planck apporte la quasi-totalité des contraintes sur l’indice spectral nS, ce dernier étant – très légèrement – tiré vers une valeur plus faible par les données BICEP2/Keck ou plus forte si on ajoute en plus les BAO. En revanche, la contrainte sur r est substantiellement améliorée par BICEP2/Keck, expérience au sol conçue pour mesurer ce paramètre exclusivement.

Un modèle d’inflation donné ne fait pas de prédiction univoque quant à la valeur de r ou nS, car interviennent en plus d’autres paramètres liés au déroulement de la phase d’inflation. Le déplacement le long des lignes de couleur, du petit vers le grand rond, indique une augmentation de la durée de l’inflation en suivant l’évolution selon ce modèle d’inflation. L’évolution verticale de cette ligne dans les bandes violette et verte permet de visualiser l’évolution avec l’échelle d’énergie de l’inflation, donc quand l’inflation s’est terminée.

Même si le lien entre un modèle d’inflation donné et la région qu’il occupe dans le plan ci-dessus est relativement complexe à déterminer, on comprend intuitivement que si la zone bleue se réduit encore davantage, on saura mieux quand, pendant combien de temps, et donc selon quel mécanisme, l’inflation s’est produite.

Planck a apporté une contribution essentielle à la question des origines. Aux expériences au sol, en ballon et aux éventuels futurs satellites de poursuivre ce travail. Dans ce contexte, des réflexions assez poussées concernant une expérience au sol dénommée S4 ont lieu depuis quelques années. Il semble en principe possible d’améliorer les contraintes sur r d’un ou deux ordres de grandeur, au prix d’un ensemble de plusieurs télescopes couplés à une batterie de plusieurs centaines de milliers de détecteurs (contre seulement quelques dizaines pour le télescope de Planck), mais beaucoup de temps, de travail (et de moyens financiers) seront nécessaires à la réalisation d’un tel projet.

Coté espace, le satellite japonnais LiteBird, avec participation américaine et européenne - en particulier française, se prépare pour un décollage prévu en 2028. À suivre donc !

 

Pour en savoir plus :

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