Les astronomes ont découvert un “pont” de gaz chaud qui connecte les amas de galaxies Abell 399 et Abell 401. Au moins une partie de ce gaz pourrait venir du milieu chaud intergalactique - une toile évanescente de filaments gazeux qui parcourt l’univers.
Notre compréhension actuelle de la cosmologie suggère que l’Univers est dominé par la matière noire et l’énergie noire. La matière “ordinaire” restante - ou matière baryonique - dont sont composées les étoiles et les planètes, ne correspond qu’à une toute petite fraction de l’énergie totale de notre univers, moins de cinq pour-cent. La matière baryonique peut, en principe, être détectée à travers le rayonnement qu’elle émet. Mais il y a un problème : la quantité de matière baryonique déduite des observations astronomiques de l’univers lointain ou proche ne correspond pas à ces cinq pour-cent. Les astronomes n’ont identifié qu’environ la moitié de la matière baryonique présente dans l’univers local.
L’un des candidats favoris pour abriter ces “baryons manquants” est le milieu inter-galactique chaud appelé WHIM pour Warm-Hot Intermediate Medium. Ce WHIM est la composante baryonique de la toile cosmique, un réseau filamentaire de matières noire et baryonique qui s’étendrait dans tout l’Univers. Les simulations numériques de formation des grandes structures cosmiques prédisent que les galaxies et amas de galaxies sont incrustés dans cette toile et que le WHIM pourrait contenir la majorité de la matière baryonique dans l’univers local. Ce réseau de gaz ténu dont la température va de 100 000 à des dizaines de millions de degrés est particulièrement difficile à détecter en raison de sa densité extrêmement faible.
Légende : simulation de la toile cosmique aujourd’hui sur des milliards d’années-lumière. Les galaxies correspondent aux tâches très lumineuses alors le WHIM, avec la matière noire, constitue le réseau filamentaire.
Crédits : S. Colombi (IAP), simulations Horizons
Au cours de la dernière décennie, les astronomes ont collecté des éléments en faveur de l’hypothèse WHIM, principalement par des observations dans le domaine des rayons X et en spectroscopie optique/ultra-violette. Une récente étude basée sur des données du satellite Planck de l’ESA a apporté un nouvel élément dans ce débat en ouvrant une fenêtre spectrale pour l’étude des baryons manquants avec des observations dans les domaines micro-ondes et submillimétrique.
“Etant donné que le WHIM est essentiellement organisé en filaments longs et diffus, on s’attend à en trouver aussi à proximité des amas de galaxies, qui sont les plus grandes structures gravitationnellement liées de l’univers “ explique José M. Diego, un scientifique de la collaboration Planck à Santander en Espagne. “Planck peut détecter les amas de galaxies à travers tout le ciel car le gaz chaud qu’ils contiennent laisse une empreinte caractéristique sur le rayonnement fossile connu sous le nom d’effet Sunyaev-Zel’dovich” ajoute José M. Diego. “Selon le même principe, Planck est sensible au gaz du WHIM”.
Les astronomes de la collaboration Planck ont exploité l’effet Sunyaev-Zel’dovich (SZ) pour chercher des amas de galaxies. Les premiers résultats de cette quête ont été présentés en 2011 avec la publication d’un catalogue de 200 amas environ. Une analyse minutieuse de ces données précieuses est en cours pour étudier les propriétés de ces amas, mais aussi de leur environnement.
“Détecter le WHIM par effet Sunyaev-Zel’dovich est extrêmement délicat en raison de sa faible densité” commente Juan Macías Pérez, un scientifique de la collaboration Planck du laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble. “La meilleure chance de le détecter est de regarder les régions entre paires d’amas de galaxies proches qui sont en interaction : comme ils s’attirent l’un vers l’autre, le gaz inter-amas devient plus dense et plus chaud, et donc plus facile à détecter” ajoute-t-il.
Avec cet objectif, les chercheurs de la collaboration Planck ont inspecté le catalogue d’amas issu des données prises au cours des deux premières cartographies complètes du ciel. “Nous avons regardé les paires d’amas suffisamment proches pour qu’un possible filament entre eux soit détectable, mais suffisamment séparés sur le ciel pour que Planck les détecte individuellement” explique Juan Macías Pérez. Les astronomes ont identifié une liste de candidats avec un faible décalage vers le rouge, donc peu distants, qui satisfaisaient ces critères. Une analyse approfondie a révélé la présence d’un “pont” de gaz chaud reliant deux des amas de cette liste : Abell 399 et Abell 401.
Légende : Planck observe un pont de gaz chaud entre les amas de galaxies Abell 399 et Abell 401 Cette image présente les deux amas de galaxies Abell 399 et Abell 401 vus dans le domaine optique par des télescopes au sol et par effet Sunyaev-Zel’dovich (en orange) par le satellite Planck de l’ESA. Ils sont situés environ à un milliard d’années-lumières de nous. Les chercheurs analysant les données de Planck sur Abell 399 et Abell 401 n’ont pas seulement détecté le signal individuel émis par le gaz de chaque amas, mais aussi un “pont” de gaz reliant les deux (le filament orange plus clair qui relie les deux régions oranges plus vif) qui s’étend sur une dizaine de millions d’années-lumière.
Crédits : ESA-consortia HFI/LFI
Le gaz chaud peut aussi être détecté directement par son émission thermique dans le domaine des rayons X. Une étude précédente de Abell 399 et Abell 401, basée sur les données en X de l’observatoire spatial XMM-Newton de l’ESA, indiquait une présence de gaz chaud non seulement à l’intérieur mais également entre les amas mais le signal n’était pas suffisant pour conclure à une véritable détection. Les résultats basés sur les données du satellite Planck sont bien plus probants et confirment que les deux structures sont bien reliées par un pont de matière; cette détection est également la première de gaz inter-amas obtenue par effet Sunyaev-Zel’dovich.
“En combinant les données Planck avec les archives des observations X du satellite allemand ROSAT, on peut estimer la température du gaz de ce pont à 80 millions de degrés environ” note Torsten Ensslin, un scientifique de la collaboration Planck de Garching bei München en Allemagne. Cette valeur est du même ordre de grandeur que la température du gaz de ces deux amas. Ce pourrait être du WHIM, mais néanmoins l’origine du gaz inter-amas est, à ce jour, encore incertaine.
“La question de savoir si ce gaz vient du WHIM ou si ce gaz appartenait auparavant à ces amas est toujours débattue; les simulations numériques suggèrent que ce pourrait être un mélange des deux” explique Torsten Ensslin. “Des analyses plus poussées des données complètes de Planck pourraient aider à clarifier la situation en révélant d’autres cas” ajoute-t-il.
Les astronomes ont déjà identifié un autre candidat prometteur : le système composite Abell 3391-Abell 3395, qui est fortement structuré et pourrait en fait fait de trois ou quatre amas. Ce système comprend ce qui semble être un pont de matière reliant les différentes composantes. En raison de la nature complexe de cet objet, une investigation plus poussée est nécessaire pour confirmer cette seconde détection.
“Cette découverte illustre la capacité de Planck à étudier les amas de galaxies jusque dans leur périphérie et même au-delà, nous permettant ainsi d’étudier la connexion entre le gaz inter-amas et le gaz qui se trouve dans la toile cosmique” conclut Jan Tauber, responsable du projet Planck pour l’ESA.
Les scientifiques de la collaboration Planck ont examiné ce catalogue d’amas et sélectionné un ensemble de 25 paires d’amas. Après une étude plus approfondie des sept paires de cet ensemble qui présentaient le meilleur rapport signal sur bruit, ils ont identifié deux paires d’amas de galaxies qui présentent des signes d’émission inter-amas entre eux : le couple Abell 399-Abell 401 et le système composite Abell 3391-Abell 3395. Les données d’archive en X du satellite allemand ROSAT sont également utilisées pour cette étude.Les amas de galaxies Abell 399 et Abell 401 sont à un décalage vers le rouge z~0.07 alors que le système Abell 3391-Abell 3395 est à z~0.05. La détection de gaz inter-amas entre Abell 399 et Abell 401 est robuste alors que le cas de Abell 3391-Abell 3395 - qui est en fait un système fortement structuré composé de trois ou quatre amas - demande un modèle plus compliqué avant de pouvoir confirmer la détection.
Légende : Cartes de l’émission SZ par Planck des paires d’amas Abell 399-Abell 401 (gauche) et du système Abell 3391-Abell 3395 (droite). L’émission inter-amas est très claire dans le premier cas, une analyse bien plus approfondie est indispensable dans le second cas.
Crédits : ESA-consortia HFI/LFI
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