Le satellite Planck a mesuré la lumière reçue de tout le ciel dans le domaine submillimétrique et micro-onde. Il ne se contente pas de nous apprendre quelle quantité de lumière provient d’une direction donnée, il récupère également d’autres informations précieuses liées notamment à la polarisation. Ces données complémentaires sont essentielles pour mieux comprendre la physique de la source de cette lumière, mais encore faut-il identifier cette source précisément.
La lumière qui arrive dans les bolomètres de l’instrument haute fréquence provient essentiellement des poussières de notre Voie Lactée et du rayonnement fossile – les autres photons d’origine extragalactique sont bien moins nombreux en moyenne. Suffit-il de regarder dans la région des pôles galactiques pour avoir un accès direct au rayonnement fossile avec une « pollution » galactique totalement négligeable ? C’est la question à laquelle répond l’un des derniers articles de la collaboration Planck, et la réponse est non.
La poussière est mélangée au gaz interstellaire. La polarisation de son émission provient de l’alignement des grains de poussière par rapport au champ magnétique de notre Galaxie. Les données de Planck ont permis de caractériser statistiquement la composante polarisée de cette émission sur le ciel et d’en déduire l’amplitude de la polarisation galactique, qui mime dans les observations le signal cosmologique. Le résultat est que la polarisation galactique ne peut être négligée nulle part sur le ciel. La situation est donc loin d’être aussi claire que ne l’espérait la collaboration BICEP2 en annonçant, de manière probablement prématurée, la découverte des ondes gravitationnelles primordiales en mars dernier.
Légende : Carte de l’estimation du signal galactique en unité de signal cosmologique (amplitude du spectre de puissance angulaire à la position attendue du maximum du signal en mode tenseur) en projection orthographique. Ainsi, plus les zones sont bleues, moins le rayonnement fossile est masqué. Le vert correspond à une amplitude du signal galactique de l’ordre du signal détecté par BICEP2 qui a étudié la partie du ciel indiquée par le contour noir.
Crédit : ESA – collaboration Planck
Cette carte est construite en extrapolant le signal polarisé mesuré à 353 GHz. C’est à cette fréquence observée par Planck que le signal de la poussière est le plus fort. La part du rayonnement fossile y est négligeable. On peut donc utiliser ses propriétés, définies et validées par une analyse approfondie, pour calculer le signal polarisé d’origine galactique à 150 GHz, là où le signal du rayonnement fossile est attendu.
Nous avons vu qu’il fallait extrapoler le signal mesuré à 353 GHz, quasiment de la pure émission galactique, à la fréquence de 150 GHz. Afin de mesurer le comportement spectral du signal, on utilise notamment les mesures faites par Planck à plus basse fréquence, soit 217 et 143 GHz.
Légende : Evolution relative de l’amplitude du spectre de puissance angulaire en utilisant une zone du ciel qui englobe légèrement le champ de BICEP2 dans la zone théorique du signal des ondes gravitationnelles primordiales en fonction de la fréquence. Les points rouges représentent les résultats de Planck. Le modèle issu des observations de Planck, utilisé pour l’extrapolation, est tracé en pointillés.
Crédit : ESA – collaboration Planck
On constate que la mesure à 353 GHz, là où l’émission de la poussière est forte, est très précise et constitue une base solide. Notons qu’il y a une certaine dépendance en fonction de la région du ciel observée et bien-sûr une erreur sur la valeur extrapolée du signal.
Planck s’est livré à l’exercice suivant : quel est le signal attendu d’après l’émission de la poussière galactique ? Dans quelle mesure peut-il contribuer à l’émission (totale) mesurée par BICEP2 ?
Pour répondre à cette question, on calcule le signal d’origine galactique et on le compare au signal supposé d’origine cosmologique. Il semble que de la poussière se soit fait passer pour du rayonnement fossile…
Légende : Amplitude du spectre de puissance angulaire en utilisant une zone du ciel qui englobe légèrement le champ de BICEP2 d’après les mesures à 353 GHz de Planck extrapolées à 150 GHz. Les rectangles bleus représentent l’incertitude statistique due au bruit de mesure, les rectangles roses montrent l’incertitude supplémentaire apportée par l’extrapolation du signal de 353 à 150 GHz. La ligne noire montre le modèle cosmologique issu des résultats Planck 2103 avec une contribution d’un mode tenseur avec r=0.2 d’après les résultats publiés de BICEP2. La zone théorique du signal des ondes gravitationnelles primordiales est autour du multipôle 80.
Crédit : ESA – collaboration Planck
Ces résultats prouvent qu'il est critique d'estimer précisément la contribution de l’émission de la poussière galactique avant de tirer des conclusions sur l’importance du signal d’origine cosmologique, au moins dans cette région-là du ciel.
Il est impossible actuellement de valider ou invalider les résultats de BICEP2 à 100 %, mais il est certain que la contamination galactique semble être plus importante qu’ils ne l’avaient déduite des éléments alors disponibles.
Les données de BICEP2 et de Planck en polarisation n’étant pas (encore) publiques, il est difficile d’évaluer précisément la contribution de l’émission galactique à l’émission cosmologique par les uns ou les autres. De plus, la finesse de l’analyse au niveau de précision requis nécessite des experts de chaque jeu de données. C’est pourquoi une coopération entre Planck et BICEP2 a été mise en place pour une analyse conjointe qui permettra une réponse précise prochainement.
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