Une illustration frappante du lien entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, entre la physique des particules et la cosmologie, est la capacité à contraindre les propriétés des neutrinos, et d’éventuelles autres particules légères, d’après les observations de l’Univers avec rayonnement fossile.
Les neutrinos, tant qu’ils sont relativistes (c’est-à-dire que leur vitesse est proche, mais bien-sûr inférieure, à celle de la lumière), lissent les petites structures. Mais quand ils ne le sont plus, ils intègrent la matière noire froide, et renforcent les contrastes de densité. C’est donc un jeu très subtil…
Pour s’en sortir il faut jouer avec la distribution de matière :
On étudie simultanément le nombre de neutrinos et leur masse totale. En utilisant le rayonnement fossile, avec les données de Planck, et les oscillations acoustiques des bayons, la collaboration ne trouve pas d’élément en faveur d’une quatrième espèce de neutrino - alors que WMAP y était favorable : seules les trois espèces de neutrinos et la lumière étaient des particules relativistes lors de l’émission du rayonnement fossile.
La nouvelle limite sur la masse totale des trois familles de neutrinos est établie à 0.23 eV* (contre 0.3 eV avant Planck).
Ces résultats sont en parfait accord avec la nucléosynthèse primordiale - les neutrinos “fossiles” jouent encore un rôle important au cours des cent premières secondes après le Big-Bang. Ces résultats sont totalement compatibles avec les valeurs utilisées dans le modèle cosmologique de concordance à 6 paramètres. Aucun signe de physique non-standard des neutrinos nʼest donné par les mesures de Planck.
Etant donné que la masse totale doit être supérieure à 0.06 eV ou à 0.1 eV selon la théorie associée à la masse des neutrinos, avec les résultats définitifs de la mission Planck en 2014, on pourrait même s’approcher d’une mesure et non d’une limite, peut-être…
*eV = électron-volt. C’est de l’ordre de l’énergie d’un photon de la lumière visible. L’équivalence masse - énergie est couramment utilisée en physique des particules.
La détection des oscillations des neutrinos solaires et atmosphériques prouve que les neutrinos sont massifs et que au moins deux des trois espèces de neutrinos sont non relativistes aujourd’hui. Avant même les résultats de Planck, la cosmologie donne des limites plus sévères sur la masse des neutrinos que les expériences en laboratoire dédiées à leur étude !
À partir des données de Planck, on peut contraindre la masse totale des neutrinos “normaux” (les neutrinos associés aux leptons que sont les électrons, les muons et les taus) mais aussi la densité résiduelle d’éventuelles autres particules un peu similaires qui seraient de très faible masse. Les modèles associés aux neutrinos seront alors mieux cernés dans le cadre de la physique des particules.
Des modèles cosmologiques avec ou sans neutrinos massifs conduisent à des spectres de puissance angulaire du rayonnement fossile différents. Si on considère des masses réalistes, les neutrinos sont encore relativistes lors de la recombinaison, c’est-à-dire lors de l’émission du rayonnement fossile, et l’effet sur le spectre de puissance est petit, concentré autour du premier pic acoustique. Il est dû à l’effet Sachs-Wolf intégré précoce. Jusqu’à présent c’était l’effet le plus contraignant.
Avec les données obtenues par Planck, on entre dans un nouveau régime : l’effet dominant est lié à l’effet de lentille gravitationnelle. Augmenter la masse des neutrinos tout en ajustant les autres paramètres pour rester en accord avec les observations est équivalent à augmenter la vitesse d’expansion de l’univers au cours de la première moitié de l’histoire de notre univers typiquement et donc supprime les structures aux échelles plus petites que la taille de l’horizon lors de la transition non relativiste. L’effet est de l’ordre de 20% autour du multipôle 1000 (soit vers une taille angulaire de 12 arc-minutes) sur le spectre de puissance angulaire du potentiel gravitationnel que l’on déduit de la déformation de la carte du rayonnement fossile par effet de lentille gravitationnelle si on considère une masse totale de 0.5 eV.
Mais, une fois encore, il est nécessaire de faire appel aux ondes acoustiques des baryons pour fixer l’échelle des structures il y a quelques milliards d’années et ne pas avoir des effets géométriques qui peuvent se compenser quand on modifie la masse totale des neutrinos ou la vitesse d’expansion de l’Univers. La situation est pire si on relâche des contraintes du modèle de concordance telles que la platitude ou la nature de l’énergie noire.
Le rayonnement fossile seul permet d’obtenir une contrainte peu sévère : la somme des masses des neutrinos doit être inférieure à 0.66 eV (à 95% de niveau de confiance, ce qui signifie qu’il y a 95 “chances” sur 100 que la masse totale réelle soit effectivement inférieur à 0.66 eV, et 5 “chances” sur 100 qu’elle soit en fait supérieure). La meilleure limite “raisonnable”, compte-tenu des autres études, est obtenue en combinant donc toutes les informations du rayonnement fossile et celles des BAO. On obtient alors une masse totale qui doit être inférieure à 0.23 eV (95 % de niveau de confiance).
La densité d’énergie sous forme de particules relativistes (en-dehors de la lumière) est reliée au nombre effectif de neutrinos Neff. On considère dans le modèle de base trois sortes de neutrinos. Pour rappel, la valeur de 3.046, et non 3, de Neff rend compte de l’effet d’un découplage pas totalement instantané.
Les derniers résultats obtenus en étudiant le rayonnement fossile, avant ceux de Planck, préféraient une valeur un peu plus élevée de Neff, autour de 3.7 +/- 0.3. Cet excès pouvait être produit par une asymétrie neutrino/anti-neutrino, des neutrinos stériles et/ou une autre particule relique…
L’étude a donc été refaite en ajoutant cette fois les données de Planck. Le résultat est stable, que l’on ait recours aux ondes acoustiques des baryons (BAO) ou non - même si ces dernières permettent d’affiner un peu le résultat (Neff = 3.36 +/- 0.34 pour le rayonnement fossile seul, Neff = 3.30 +/- 0.27 si on ajoute les BAOs). La contrainte n’est pas très forte, mais la valeur préférée de Neff a été revue à la baisse. La simplicité étant un guide raisonnable, il n’y a pas d’indication en faveur d’une nouvelle particule relativiste et la valeur du modèle de concordance est en bon accord avec les résultats de la collaboration Planck.
On peut aussi jouer le jeu de laisser libres, simultanément, le nombre effectif de neutrinos et leur masse totale. Les conclusions sont très semblables à celles obtenues en autorisant des variations d’un seul des deux paramètres.
Légende : Contraintes sur le nombre effectif de neutrinos Neff et la masse totale des neutrinos. On observe l’importance de l’utilisation des ondes acoustiques baryoniques (BAO) sur la masse totale. En revanche la contrainte sur le nombre de particules relativistes est un peu plus indépendante de l’utilisation ou non des mesures de BAO.
Crédits : ESA - collaboration Planck
Si on modifie le modèle de base en augmentant le nombre d’espèces de neutrinos, on lisse les plus petites structures. Cet effet peut être partiellement compensé par une augmentation de l’indice spectral nS. Cependant une hausse du nombre d’espèces de neutrinos doit obligatoirement s’accompagner d’une augmentation de la densité de matière pour maintenir les pics acoustiques à leur position. Une mesure de la densité de matière avec les ondes acoustiques des baryons (BAO) aide à briser cette dégénérescence : on ne peut jouer sur tous ces paramètres en toute liberté.
Légende : Illustration du jeu complexe entre nombre de neutrinos (ordonnée), masse - en l'occurrence masse d’un neutrino stérile (abscisse) et quantité de matière noire aujourd’hui (couleur des points).
Crédits : ESA - collaboration Planck
Avec le rayonnement fossile et les BAO, même en laissant libre le nombre de particules relativistes au moment du découplage matière-rayonnement, l’indice spectral nS reste significativement inférieur à 1.
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