En mars 2014, avec l’annonce de la détection d’un signal “prouvant” l’existence d’une phase d’inflation primordiale dans l’histoire de l’Univers, la collaboration BICEP2 avait fait la Une des médias du monde entier. La communauté scientifique était également très excitée par ce résultat, chacun réagissant avec plus ou moins de prudence, plus ou moins d’enthousiasme - mais dans tous les cas avec un intérêt certain !
Le signal mesuré était bien là. C’est son interprétation comme signal cosmologique, associé au rayonnement fossile, qui posait question. Rappelons qu’entre l’observateur et le rayonnement fossile, il y a notre Galaxie, la Voie Lactée. Quelle était sa véritable part dans le signal mesuré ? D’après les modèles à leur disposition, la collaboration BICEP estimait que cette part était négligeable, tout au plus très faible. Avec une seule fréquence d’observation, ils n’avaient pas d’autre possibilité pour évaluer le signal d’origine galactique…
La communauté attendait donc la réponse de Planck car aucune autre expérience n’est actuellement en mesure de fournir des mesures de l’émission polarisée de la poussière de notre Voie Lactée.
Aucun des jeux de données n’était public et l’analyse commune était délicate : une coopération entre les collaborations Planck et BICEP a donc été mise officiellement en place. Les données ont été mises dans un formalisme commun, analysées conjointement selon diverses approches et des simulations prenant en compte toutes les caractéristiques expérimentales ont été réalisées afin d’estimer au mieux les erreurs sur les résultats. La collaboration BICEP a également utilisé pour cette analyse les derniers résultats obtenus avec le KECK.
Très schématiquement :
Il s’avère que la part de la poussière avait été significativement sous-estimée.
Légende: Carte de la poussière (couleurs) et du champ magnétique galactique (reliefs) mesurés par Planck à 353 GHz. Le champ d'observation de BICEP2 est indiqué en pointillés blancs. Il y a un peu de poussières (la zone est certes dans les bleus, mais pas du tout uniformément bleu foncé) et, clairement, l'émission polarisée qui permet de tracer les lignes de champ magnétiques ne peut être ignorée.
Crédits : ESA - collaboration Planck
Remerciements : M.-A. Miville-Deschênes, CNRS – Institut d’Astrophysique Spatiale, Université Paris-XI, Orsay, France
La distribution spatiale du signal à 353 GHz de Planck se retrouve dans la carte à 150 GHz de BICEP2 et du KECK : ces dernières contiennent donc une part non négligeable de poussières galactiques. Apres soustraction de l’émission galactique, le signal CMB est compatible avec ce qui est attendu de l’effet de lentille gravitationnelle. Les residus peuvent etre expliqués par de simples variations du signal associées à des bruits expérimentaux. Il reste toujours un excès mais il est à présent trop faible pour être considéré comme une détection et pourrait être le résultat de simples variations associées à des bruits expérimentaux. Cela ne signifie pas que ce signal n’existe pas ! Il est seulement trop faible pour être détecté avec les données dont nous disposons aujourd’hui.
Le paramètre r mesure l’importance du signal produit par les ondes gravitationnelles primordiales. La limite est aujourd’hui un peu moins bonne car il y a un petit excès : trop peu pour être une mesure mais suffisant pour assouplir la limite.
Planck/WMAP temperature (mars 2013) |
BICEP2 B-modes (février 2014) |
Planck temperature (décembre 2014) |
BICEP2/KECK/Planck B-modes (janvier 2015) |
r < 0.11 | r = 0.15-0.19 | r < 0.11 | r < 0.12 |
Le signal primordial en polarisation tensoriel, quantifié par le paramètre r, doit se présenter comme un excès par rapport au modèle cosmologique de base à six paramètres (qui suppose r=0). L’excès est effectivement très net si on considère le signal total. Mais il était assez largement dû à de la poussière. La part du signal primordial, une fois celle de la poussière soustraite, n’est plus du tout flagrante…
Légende :
Crédits : Collaborations Bicep2, Keck Array et Planck
On notera que le résultat n’est pas toujours intuitif : autour des multipoles 250-300, le signal auquel on a soustrait la poussière est plus grand que le signal initial (les deux points bleus les plus à droite sont au-dessus des points noirs). C’est simplement que la part de la poussière à ces échelles angulaires est particulièrement faible, l’estimation est ici négative - avec une large incertitude qui la rend parfaitement compatible avec 0.
Pourquoi les chercheurs estiment-ils qu’il n’y a plus “détection” ? Avant, la “chance” que le signal mesuré ait été du bruit était minuscule : c’était environ la probabilité de n’avoir que des 6 en lançant 8 dés.
A présent, la chance que le signal résiduel soit uniquement du bruit correspond à peu près à la probabilité de ne faire que des 6 avec seulement 2 dés… Nous avons tous déjà fait des double-six : c’est assez rare, mais ça arrive !
Ce qui est certain aujourd’hui c’est que le signal d’origine primordiale n’est pas au niveau précédemment estimé - tout au plus environ la moitié. Etant donné les incertitudes instrumentales (rappelons que le signal est incroyablement faible !), on ne peut en dire plus aujourd’hui. Il faudra d’autres mesures d’une extrême sensibilité à d’autres fréquences pour mieux cerner la question…
Légende :
Les courbes rouge et bleue utilisent des données prises en Antarctique à des périodes distinctes. La différence entre les deux spectres illustre bien la difficulté de mesure et d'extraction du signal en modes B polarisés.
Crédits : Collaborations Bicep2, Keck Array et Planck
En revanche, l’analyse commune a permis de détecter le signal produit par effet de lentille gravitationnelle de façon indéniable malgré la faible surface du ciel explorée.
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